Cet article
n’intéresse que moi au départ. C’est un besoin naturel chez moi, de mettre par
écrit mes pensées lorsqu’elles sont trop douloureuses. (Soyez ravis
de ne pas toujours devoir les partager.) Je m’accorde donc le temps de poser mes maux
et peut-être aussi les vôtres. Et je partage mes réflexions, mes questions, ma peine, mon
deuil…
Vendredi 13 novembre 2015
Carte des attaques terroristes du 13-11-2015 PARIS |
Au surlendemain du 11 novembre jour célébrant l’Armistice
de la Première Guerre mondiale, au lendemain de la naissance de ma petite nièce
(Louise, née le 12 novembre 2015) et à la veille du premier anniversaire de mon
neveu (Mathis, né le 14 novembre 2014), lors d’une soirée ordinaire, Arnaud
me dit « Il y a une fusillade dans Paris. » Ce n’était que le début de
l’horreur…
Dimanche 15 novembre 2015
Depuis « Charlie »,
je n’étais plus comme « avant ». Depuis vendredi, je ne suis plus comme
après « Charlie » non plus. Mais tout se passe à l’intérieur de mon
corps et de mon esprit. On pensait avoir vu le pire, pour une caricature, mais
ce n’était que les prémisses d’une guerre qui ne semble pas pouvoir s’achever…
Hier dans la
nuit, j’ai appris le décès, plus exactement l’assassinat de Claire, l’amie
d’une amie. Et je n’ai pas trouvé les mots pour réconforter cette amie. Je me
suis sentie impuissante, face à tant de douleur et de tristesse perceptibles,
et je continue de l’être. Je ne tiens
pas à écrire pour me plaindre et faire de mes états d’âme le centre de toutes
vos attentions, non, pas du tout. Mais je suis, comme des millions de français,
une victime collatérale de ces attentats de Paris.
Pour l'anecdote, saviez-vous qu’à
23h vendredi, Wikipédia avait déjà créé la page « Attentats de Paris dans
la nuit du 13 au 14 novembre 2015 » ? Saviez-vous qu’à 23h30, la page
du Bataclan était actualisée « L’établissement subit une attaque
terroriste le 13 novembre 2015. » ? Avec un peu de recul, cela me
laisse perplexe. Dans cette panique générale, alors que la France est transie
d’horreur, d’effroi et de confusion, certains ont eu la présence d’esprit de
mettre ces informations sur la toile…
La pudeur d’une victime collatérale
J’ai la chance,
oui la chance, de n’être qu’une victime collatérale de ces attentats
terroristes. Je pense qu’on peut parler de chance, car comme beaucoup, je peux
m’identifier aux victimes. Je vis en banlieue parisienne, et j’aime vivre dans
la perversité, puisque non seulement j’écoute de la musique chez moi, mais en
plus, j’ai l’audace d’assister à des concerts de temps en temps. Et summum de mon insolence, mon conjoint, Arnaud, est bassiste… Le vendredi 6 novembre dernier,
nous traversions d’ailleurs tous les deux les 10è et 11è arrondissements de
Paris, à la sortie d’un concert au Grand Rex. Cela aurait pu être moi, toi, ou
les autres, mais non, c’était eux. Ce n’est pas une catégorie d’artistes ou de
musique qui sont visées, c’est la Musique, c'est l’Art
en général, quel qu’il soit, c’est le simple fait de vivre à l’occidentale.
Je ne suis pas
touchée personnellement, dans le sens où je n’ai pas à déplorer la blessure ni
la mort d’un proche. Pourtant, je suis touchée en plein cœur. Je souffre. Je
pleure. Je m’étouffe. J’angoisse. Je panique. J’ai mal. Je suis triste. Je suis
blessée. Et ma blessure, semblable à celle de nombre de mes compatriotes, ne se
guérira sans doute qu’avec le temps, si seulement on nous laisse le temps de
nous relever...
La perversité détournée
La définition la
plus juste de perversité est celle-ci « Caractère d’une personne encline au mal, qui fait mal et qui aime à
faire le mal. »
Une définition
psychopathologique serait la suivante : « Anormalité de la conduite générale et spécialement des comportements à
l’égard d’autrui et de la société, conduisant à des actes asociaux et inhumains
accomplis avec une indifférence affective à l’égard de la souffrance d’autrui,
absence complète de culpabilité, avec une certaine satisfaction personnelle. »
(1969 - Roger Mucchielli, psychosociologue et neuropsychiatre).
Extrait du communiqué de Daesh |
Alors quand
Daesh raconte dans son communiqué de revendication du 14 novembre (ci-contre), vouloir
punir des gens (toi, moi et les autres) qui assistaient à une fête de
perversité, j’ai envie de hurler et de vomir. Malheureusement, ça ne change rien. Ça ne
change rien de redonner aux mots leur juste valeur et leur sens exact, car nous
sommes face à des incultes, des ignorants. Platon écrivait que : « On ne fait le mal que par ignorance du bien. »
Cela reviendrait à dire que ces ignorants terroristes ne cherchent pas à
faire le mal, puisqu’ils ignorent ce qu’est le bien. Non, ces bâtards sont des
incultes et des ignorants par nécessité. Moins ils connaissent le sens des mots
qu’ils clament haut et fort en l’honneur d’un dieu, plus ils agissent comme des
bêtes sauvages enragées, se croyant dotées d’une dose d’humanité honorable.
« Même pas peur ! » ... Ah bon, vraiment ?
Sans doute suis-je déjà dans un état
d’esprit qui favorise et oriente mes pensées, mais je suis en colère quand je
constate que des gens se cachent de leurs angoisses et de leurs craintes, quand
je les vois porter fièrement leur pancarte « Même pas peur ! »
Kim Phuc, au centre, brûlée au napalm - Vietnam 1972 |
Qui peut
prétendre ne pas avoir peur à Paris depuis le 13 novembre ? Apparemment
ils sont nombreux. Vous en faites peut-être partie d’ailleurs. Et vous
m’expliquerez peut-être pourquoi vous n’avez pas peur. Pour moi, il n’y a pas encore d’explication
recevable à cette absence de peur, si fièrement revendiquée. Ne pas avoir peur,
et vouloir continuer à vivre comme si rien ne s’était passé, ou pire encore,
être pleinement conscient de l’actualité, et penser que nous, français, parisiens,
banlieusards ou provinciaux, nous devons afficher notre détachement en signe de
défit, comme si nous allions gagner au jeu du « même pas peur ».
Seulement est-il possible de gagner la partie dans un jeu macabre à
sens unique?
« Eh ! Daesh, vous avez vu ?
Nous les français, on n’a pas peur ! »
Est-ce que l’on
peut rendre crédible cette idée, sincèrement, sans passer pour des
menteurs ? Non, ça ne marchera pas. Et ce n'est pas grave de passer pour des menteurs. Ce qui est grave, c'est de refouler nos sentiments. L'effroi, la terreur et la peur ont sonné leur entrée dans notre pays, et ne pas l'admettre, c'est ne pas vouloir reconnaître la gravité des faits.
Que nous ayons peur ou pas, cela n’aura aucun impact sur les actes
terroristes à venir. Cela ne les empêchera pas. Peut-on penser qu’un terroriste
en puissance ou déjà avéré se dise « Ça ne sert à rien de recommencer à
semer la terreur sur Paris, les français n’ont pas peur. » Hélas non, ce
n’est pas crédible, c’est même crédule.
Alors oui,
« heureusement », je pense que
les gens ont peur. Les gens sont terrorisés, résultat intentionnel des actes
terroristes commis sur nos sols. Et les gens ne devraient pas masquer leur
peur. Croyez-vous que les peuples en guerre n’ont pas peur ? Ne sommes
nous pas en guerre ?
Croyez-vous que les peuples qui voient leur famille
décimée au Moyen-Orient, en Afrique Centrale ou en Afrique du Nord n'ont pas
peur ?
Attendre pire pour avoir peur ?
Faut-il que des
attentats éclatent chaque semaine, à tous les coins de rue, pour que le
sentiment de peur soit toléré ? La définition de
peur est la suivante « Émotion ressentie en présence ou dans la perspective d’un danger ou d’une menace. »
Alors celui qui affiche son « même pas peur » avec fierté est
peut-être lui aussi ignorant du bon sens des mots.
Mais après
Charlie, rappelez-vous, nous avions peur pour la liberté d’expression, pour la
République, la Démocratie. Et après le 13-11-15, nous devrions nous abstenir de
clamer notre peur ? Mais au nom de quoi, de quelle religion, de quelle
idéologie?
Recueillement, rue Bichat, 14-11-2015 Paris |
N’avez-vous pas
peur pour aujourd’hui et demain ? Peur que votre simple nationalité
française vous rende coupable de tous les maux, de toutes les perversités, de
toutes les fautes aux yeux de ces ahuris de terroristes extrémistes ?
N’avez-vous pas
peur que demain, votre enfant, votre conjoint, votre ami, votre voisin, votre
boulanger, votre facteur, votre livreur de pizza, votre collègue soit
déchiqueté par une bombe ou assassiné de sang-froid par un islamiste radical ?
N’avez-vous pas peur que demain, le téléphone de votre proche ne réponde plus à
vos appels et qu’on vous apprenne plus tard, qu’il a succombé aux blessures
occasionnées par des tirs de kalachnikov alors qu’il se promenait dans la rue ?
Moi j’ai peur de
ça. J’y pense. Je suis maman de deux enfants, dont un qui suit une scolarité
dans une école parisienne. J’ai peur qu’il prenne le métro, qu’il marche dans
la rue, qu’il croise la route d’un kamikaze, d’un terroriste.
Continuer à vivre
Alors oui, il
faut continuer notre vie, malgré toutes ces horreurs. « Il faut
continuer d’avancer », comme ils disent tous. Il faut reprendre le « cours
de nos vies », parce que personne ne payera nos factures ni ne fera nos
courses à notre place, parce que le Gouvernement ne nous dispensera pas de
payer nos impôts, parce que notre patron ne nous versera pas de salaire sans
travail. Et par delà nos contraintes, nous avons toujours des instants heureux
à venir et à partager.
Oui, on doit
continuer à vivre, mais il me semble important de ne pas oublier l’actualité,
de ne pas oublier que Daesh décrit ces attentats comme le début de la tempête.
Ne pas oublier que le risque est imminent, il est partout. Et quand on pense à
cela, comment ne pas avoir peur ?
Doit-on être
rassuré parce que ces huit salopards sont morts ? Doit-on imaginer que le
Gouvernement a pris les choses en main, et qu’avec cet état d’urgence décrété,
nous sommes à l’abri désormais de leur folie ? Mais non voyons ! C’est
même tout le contraire…
Peace for Paris - Jean JULIEN - 2015 |
Ils sont des
dizaines, peut-être des centaines voire des milliers de cinglés extrémistes à
envisager un passage à l’acte, au nom de Daesh ou de tout autre groupe terroriste.
Ils sont nombreux ces extrémistes radicaux à vouloir partir en martyre. Rendez-vous
compte qu’ils sont prêts à mourir pour causer notre perte, à nous Français,
parce que nous représentons toute la liberté qu’ils décrient et qu’ils
redoutent, une liberté qui met à mal leur étroite façon de penser, leur vie
médiocre dictée par des interprétations stupides et infondées de ce qu’ils
osent appeler leur religion.
Bien entendu,
nous allons continuer à vivre nos passions, à écouter de la musique chez nous
et en concert, à rire d’un rien mais aussi de tout avec nos amis, à garder nos
villes et notre pays vivants.
L’intention de
mon article n’est pas de renforcer le sentiment de peur, mais simplement de l’autoriser.
N’ayons pas honte d’avoir peur, ni d’avoir de quelconques émotions, car après
tout, nous, nous sommes humains.